Dans son adresse annuelle au Parlement, Vladimir Poutine pose traditionnellement les jalons de sa politique à venir, distribue des bons et des mauvais points à son administration et promet aux Russes des changements qui vont les rendre encore plus heureux. Mais jeudi, à deux semaines d’un scrutin qui apparaît comme une pure formalité, le président sortant et futur de la Russie a moins parlé à ses administrés que, par-dessus leurs têtes, à son principal rival, Donald Trump. «L’opération en Syrie a démontré les capacités accrues des forces armées russes», s’est félicité Poutine avant de se lancer dans une énumération, pendant près d’une heure (sur les deux qu’a duré son discours), des avancées technologiques de l’armement russe.

Avec infographies et vidéos à l’appui, il a présenté les nouveaux types de missiles de croisière dotés d’une «portée illimitée» ou hypersoniques, des minisubmersibles à propulsion nucléaire, une arme laser «dont il est trop tôt pour évoquer les détails», un système de missile stratégique qu’il a comparé à «une météorite, une boule de feu». Bref, des armes «que personne d’autre dans le monde ne possède actuellement». Les centaines de dignitaires réunis dans le Manège, un bâtiment historique à deux pas du Kremlin, ont accueilli cette présentation avec un enthousiasme débordant.

«Doctrine».Dans son registre préféré de président d’une forteresse assiégée, Poutine a assuré que malgré les tentatives de l’ennemi pour l’affaiblir, la Russie n’a cessé de se renforcer. Et que tous ces progrès ont été réalisés en dépit des sanctions occidentales, visant entre autres le secteur militaire, imposées à Moscou ces dernières années à cause de la crise ukrainienne et de l’annexion de la Crimée en 2014. «Ce que vous avez essayé pour gêner, empêcher, entraver la Russie n’a pas réussi. Tous les travaux de renforcement de la capacité défensive de la Russie ont été menés et sont menés, a-t-il martelé. Personne ne voulait nous parler, personne ne voulait nous écouter. Ecoutez-nous maintenant !»

Selon Poutine, cet arsenal renouvelé et modernisé doit répondre à l’activité militaire «belliqueuse» et «antirusse» des Américains, qui veulent déployer leurs boucliers antimissiles en Europe de l’Est et Corée du Sud. «Les Etats-Unis viennent d’adopter, en trois mois, trois textes sur leur nouvelle doctrine militaire, qui font de la Russie un ennemi. Ce discours est une réponse directe à cette doctrine», confirme le politologue Fyodor Lukyanov, rédacteur en chef de Russia in Global Affairs. «J’espère que tout ce qui vient d’être dit dégrisera tout agresseur potentiel et les gestes inamicaux envers la Russie, comme le déploiement de boucliers antimissiles, le rapprochement de nos frontières des infrastructures de l’Otan», a prévenu Poutine en conclusion. Se défendant d’être engagé dans une course aux armements, il s’est voulu rassurant : «Nous ne menaçons personne, ne comptons attaquer personne ni prendre possession de quoi que ce soit par les armes : nous avons déjà tout ce dont nous avons besoin. Au contraire, et j’insiste : la croissance des capacités militaires de la Russie est une garantie pour la paix sur notre planète, car cette puissance préserve l’équilibre stratégique et le rapport de forces dans le monde.»

Selon les experts, il ne s’agit plus seulement de surenchère verbale et de rhétorique. Le discours de Vladimir Poutine fixe l’état des relations entre Moscou et Washington, qui sont au plus bas. «Les Etats-Unis ont lancé un défi de guerre froide à la Russie, et elle l’a relevé, analyse Lukyanov. La suite va dépendre de la réaction américaine. Soit Washington prend acte du danger et comprend qu’il faut faire retomber la tension et réduire les risques de confrontation, soit c’est la surenchère, et la course aux armements. Ce qui est à craindre compte tenu de la manière dont Trump aime comparer la taille des boutons rouges.» Le 3 janvier, Trump s’était en effet vanté d’avoir «un bouton nucléaire beaucoup plus gros et plus puissant» que celui de Kim Jong-un.

«Paravent».Pour la politologue Tatiana Stanovaya, le nouveau mandat de Poutine commence avec ce discours. «Il annonce à l’Occident la couleur : depuis qu’il est au pouvoir, Poutine a cherché un accord avec les Etats-Unis sur le système de défense antimissiles. Aujourd’hui il met un point final à ces tentatives. La politique de la Russie devient unilatérale. Moscou ne va plus tenir compte de ce que pense l’Occident, analyse-t-elle. Le Président se distancie du système de défense collective qui a prévalu depuis la période soviétique.»

C’est aussi l’affirmation de la politique de «double fond» qu’il pratique depuis 2014, année de la détérioration de ses relations avec l’Occident. «Poutine a toujours été très direct sur les sujets tels que les boucliers, les missiles, le rapprochement de l’Otan, l’Ukraine… Il a toujours insisté sur le fait que l’Occident doit changer son rapport à la Russie, la respecter, sinon les choses ne feront que s’aggraver. Il cherchait le dialogue. C’est terminé, il n’y croit plus. Et s’il continue à dire qu’il ne menace personne et qu’il est prêt à négocier, c’est un paravent. Derrière la façade il y a eu les soldats russes sans insignes qui ont pris possession de la Crimée pour l’annexer, les mercenaires russes en Syrie, l’ingérence dans les élections américaines.»

 

Source: Libération.fr